Bernard Tapie, trente ans plus tard

Il y a trente ans, Gaston Deffere faisait appel à Bernard Tapie en 1986
On se rappelle son interview de février 1986 que l'on peut consulter sur OM4ever ici

Trente ans après presque jour pour jour, le patron de "La Provence" a accordé à France Football un interview pour faire un peu l'état des lieux d'un club qu'il connait bien et qu'il a dirigé durant huit saisons.

Propos recueilis par notre excellent confrère François Verdenet, et résumés sur notre site.

Voir d'autre part sur OM4ever Les Années Tapie
Bernard Tapie:
On a toujours du mal à parler des choses quand on a été impliqué comme moi dans ce club.
Toute critique peut apparaître comme de la nostalgie mal placée.
On est plus sévère avec ses enfants qu'avec ceux des autres.
Je ne vais donc pas m'y mettre.
Mais la réalité est bien là au-delà du classement, des points et des matches.
Une victoire à l'extérieur par-ci, une défaite à la maison par-là, je constate l'ennui général que cette équipe suscite, notamment au Vélodrome.
Quelle purge ce match contre Guingamp (0-0) !
Un match de foot, c'est avant tout du spectacle.
L'autre jour, j'ai regardé PSG-Lyon en Coupe de la Ligue (2-1). Eh bien, si j'étais supporter de l'OL, malgré l'élimination, je serais sorti content du Parc des Princes. Les Lyonnais m'ont fait plaisir. Dans le foot, on ne gagne pas tout le temps, mais on doit ressortir d'un match ou d'un stade fier de ses couleurs.
Si j'avais un conseil à donner aux joueurs de l'OM, c'est d'être plus gais et plus entreprenants.
Il n'y a rien de plus chiant à Marseille que de voir son équipe jouer à la baballe
Je ne suis pas plus inquiet que ça pour l'OM

Le niveau de la LI est très moyen. Il suffit de deux ou trois victoires, d'une petite série, pour vite revenir dans le coup.
Quand l'OM aura récupéré une partie de ses blessés, des joueurs cadres, il repartira, en tout cas je l'espère.
Le retard sur le podium n'est pas colossal et Marseille a un effectif pour l'atteindre. En clair, si je devais résumer ma pensée je m'emmerde souvent devant la télé, mais rien n'est perdu ! Visiblement, vous n'êtes pas le seul à vous ennuyer.
Par rapport à la saison dernière, le Vélodrome a perdu 10 000 spectateurs en moyenne par match...
Pas de spectacle, mais pas que...
Il y a plusieurs conditions à remplir pour faire venir les gens au stade. Il faut déjà donner de la joie et de la fierté, notamment aux jeunes.
Une grande partie des ados qui sont fans de l'OM n'ont guère d'occasions de connaître des succès dans leur vie.
Leur seul moment de bonheur, de fierté, de gloire, c'est quand l'OM gagne.
Quand l'OM perd, ils vivent un calvaire.
Vous imaginez les semaines qu'ils endurent parfois.
Les lendemains de défaite, le supporter marseillais a la bouche pâteuse.
Ce qu'il veut, c'est que l'OM gagne, même après un match de merde !
Là, il passe quand même une bonne semaine avec ses trois points. Il est fier de mettre son maillot de l'OM le matin.
Il ne se souvient pas de la qualité du match. Mais, quand ça perd au Vélodrome, que l'équipe ne gagne plus depuis trois mois à la maison, qu'elle joue mal en plus, le jeune qui n'a pas beaucoup de ronds, il préfère rester chez lui et ne même pas regarder le match à la télé.
Mais, franchement, quand je vois la qualité de certaines prestations, je me dis qu'ils sont encore nombreux au Vélodrome, et même à suivre l'OM à l'extérieur

On voit que ce club n'est vraiment pas comme les autres
Pour la gestion des abonnements dans les virages, on raconte tout et n'importe quoi à ce sujet.
Quand j'ai repris l'OM en 1986, le Stade-Vélodrome n'était pas celui qu'il est devenu aujourd'hui.
Les virages étaient en béton (voir ci-contre), une succession de marches en ciment qui ne possédaient pas de places numérotées. Il était donc impossible de les vendre de manière nominative. L'abonnement individuel était impossible car on ne pouvait pas affecter les places, Nous étions dans la merde. On ne pouvait faire que des désignations de groupes. Pour tant de personnes, tant d'abonnements. Mais on ne connaissait pas les mecs qui étaient propriétaires personnellement de ces abonnements. J'ai alors accordé un tarif favorable aux groupes de supporters. À chaque début de saison, les associations nous achetaient à un prix défini la totalité des places qu'elles revendaient ensuite. Mais qu'on ne vienne pas encore me dire aujourd'hui que j'achetais les gars comme ça pour avoir la paix sociale dans les tribunes !
Au contraire, j'ai fait un peu le ménage.
Avant que j'arrive, des gens pas fréquentables, rien à voir avec les supporters, étaient presque propriétaires de tout autour des tribunes,
Des accessoires en vente, des gadgets et même des buvettes dans le stade. II y avait une économie parallèle que j'ai en partie régulée avec Michel Hidalgo.
Entre cinq et huit mille faux billets devaient alors ètre écoulés par match à domicile.
On s'est séparés de presque 140 guichetiers. Alors, quand j'ai mis ce système d'abonnements en place, tout le monde y trouvait son compte
Ça s'est presque toujours bien passé de cette façon avec moi.
Alors, qu'on ne vienne pas me dire que c'est désormais un problème de sécurité majeur.
À mon époque, j'avais vite fait de régler les problèmes en tribunes avec les voyous qui essayaient de faire la loi ou les crânes rasés qui envoyaient des bananes à Bell ou lui lançaient des cris de singe.
On n'en a pas parlé, ni au préfet ni au commissaire de police ! On a invité des sportifs qui pratiquaient des arts martiaux, karaté et compagnie, des sports de combat ou encore de la boxe, et je les ai installés dans les gradins.
ça a été vite réglé ! Marseille est une ville exceptionnelle. Mais elle ne tolère aucune faiblesse.
La volonté de Vincent Labrune de remettre la main sur les abonnements en tribunes est une bonne décision,
Car avec le nouveau Vélodrome et ses places assises et numérotées, on peut savoir en regardant la place numéro 1557,que c'est monsieur ou madame Untel,
C'est beaucoup plus simple qu'à mon époque. Ce qui n'empêche pas de mettre en place des collaborations avec les groupes de supporters. Ils doivent avoir des moyens pour payer leurs tifos, leurs banderoles, des maillots et parfois contribuer à leurs voyages. Il ne faut pas croire non plus qu'avec le système actuel, ou passé, des abonnements, les groupes de supporters faisaient vivre des dizaines de personnes sur le dos de la bête !
À part trois ou quatre permanents, personne ne peut vivre grâce à ce système, Ce nouveau Vélodrome est un superbe outil.

Pourtant, son taux de remplissage à mi-saison n'est que le douzième de la L1
Aujourd'hui, je pense même que si le PSG jouait au Stade de France, il remplirait régulièrement les 80000 places.
Le cercle des supporters parisiens est en train de s'élargir comme le nôtre au moment du grand 0M.
Nous, nous avions sur le banc des joueurs qui étaient alors titulaires en équipe de France ! Les meilleurs étaient à l'OM. Sauf Zidane. que j'aurais du faire venir avant.
C'est le grand regret de ma vie de président
Mais Paris souffre d'un manque de véritable concurrence comme nous à l'époque.

Le seul handicap pour le PSG dans la conquête de la Ligue des champions, c'est la faiblesse de la LI,

Il faut rétablir la dimension festive du foot et du sport en général.
Par exemple, en partenariat . avec la Provence, j'aimerais bien lancer des croisières estampillées OM en Méditerranée
Quelques joueurs pourraient y participer, on ferait un carton.
Franchement, je ne comprends pas comment Bielsa est pu devenir un mythe à Marseille en si peu de temps et en n'ayant rien gagné.

Cette adoration reste une énigme pour moi, mais je respecte cette position des supporters.
Son goût pour l'offensive et sa personnalité ont, en tout cas, fait rêver une grande partie des tribunes... Je le respecte.
Sa première partie de la saison est allée au-delà de toutes les espérances mais, au final, l'OM n'a même pas atteint la Ligue des champions.

Il regardait ses pompes et passait ses matches sur une glacière.
Sa magie demeure une énigme pour moi
Mais je ne comprends pas pourquoi on n'est pas allé chercher un coach français.
C'est quand même un grand avantage de parler la langue

Là, que ce soit Bielsa qui n'a pas fait le moindre effort pour apprendre notre langue, ou Michel, il y a toujours un traducteur à côté.
Je ne comprends pas.
Mais c‘est peut-étre une forme de snobisme que d'aller chercher des entraîneurs étrangers. On laisse Antonetti au chômage alors qu'il fait du bon boulot depuis qu'il a repris Lille
Michel et Antonetti, pour moi, il n y a pas photo à l'échelle de la Ligue 1
Il y a Le Guen ou Garcia maintenant. ll y en a un bon paquet de bons sur le carreau et qui ont eu des résultats...

Si on va chercher Ancelotti, je dis pas, mais là.....
Margarita Louis-Dreyfus ne m'a jamais approché, mais je l'aime bien.,
C'est une femme incroyablement intelligente et qui en a étonné plus d'un dans sa réussite après la mort de son mari.
Elle est devenue une véritable chef d'entreprise alors que beaucoup de personnes ont essayé de l'écarter.
MLD est devenue une manager incroyable, une femme d'affaires phénoménale !
Mais elle ne se sent plus d'investir aujourd'hui deux ou trois cents millions d'euros comme son défunt mari.


Son fiston, Kyril, est fou de l'OM, mais je ne sais pas s'il peut reprendre la succession de son père dès maintenant.
Il a pourtant une vision pertinente du football et du club.
S'il y a un repreneur il pourrait éventuellement le garder à ses côtés.

J'espère d'ailleurs qu'ils trouveront vite un investisseur de poids qui redonne de véritables moyens à ce club.
Pourquoi cet oiseau rare est-il aussi difficile à dégoter ?
Il y a tellement d'histoires, parfois de fantasmes autour de l'OM que ce club fait peur !
Les candidats ont la trouille d'y aller, et je ne suis pas étonné.
On parle de malversations, de ci, de ça, mais tous les clubs font la même chose!
Or, les seuls dirigeants qui se retrouvent devant la justice, ce sont ceux de l'OM.
Regardez RLD, il a mis plus de trois cents millions d'euros à l'OM et il a été condamné à quelques mois de prison avec sursis pour abus de bien sociaux.
On n'est pas chez les dingues, là?
S'il y a des investisseurs crédibles qui méritent d'être aidés, on les aidera.
En tant que patron de La Provence, ça ne peut que favoriser les relations entre mon personnel, les supporters et les sponsors.
Bernard Tapie FF 27 Janvier 2016