OM Olympique de Marseille

Juin 2005, le Départ de Philippe Troussier

Votre passage à l'OM n'aura duré que six mois. Quelle conclusion en tirez-vous ?
C'est un non-événement. Ma mission est terminée, conformément au deal que nous avions passé avec Pape Diouf. Le contrat, c'était d'amener l'OM sur le podium. Nous avons fini cinquième. J'ai ma part de responsabilité. J'en ai donc tiré les conséquences en faisant valoir la cessation de mon contrat.
Mais n'est-ce pas plutôt le club qui vous a signifié son désir de ne plus travailler avec vous ?
Si cela s'était passé ainsi, l'OM aurait été obligé de me virer. J'avais un contrat de dix-huit mois. On s'est séparés d'un commun accord. Il faut bien préciser, d'ailleurs, que, lorsque je suis arrivé, je voulais venir pour six mois.
Etes-vous déçu ?
Non. C'était le deal. J'ai l'habitude de respecter mes engagements. Pour être déçu, il faudrait que je sois frustré de ne pas continuer. Ce n'est pas le cas. A la base je n'étais pas demandeur. Je voulais être européen. Mais avec tout ce qui s'est pasé autour de nous, ce n'était pas facile. On a failli malgré tout y parvenir.
Considérez-vous votre passage à l'OM comme un échec ?
En termes de résultats, c'en est un, bien sûr. Mais si j'analyse les choses sereinement, cette position me semble logique, conforme à ntore saison, au potentiel et à l'environnement. Même si on quand même réalisé une meilleure année que la précédente (7e de L1) sans Drogba...
Vous dites-vous que l'OM est un club de fous ?
On a cette impression car il est exposé médiatiquement. De l'extérieur on se dit que le climat est trouble. Moi en interne, j'ai davantage souffert du manque de poids de l'institution. C'est dans cet esprit, d'ailleurs que le club s'est réorganisé cette semaine.
Belle victoire à Lille pour sa prise de fonction



Ressentez-vous de l'aigreur ?
Absolument pas. C'était une mission exaltante. Elle m'a permis de revenir en Europe. Je suis heureux d'avoir pu pratiquer mon métier en Ligue 1. Cela m'a permis, aussi de renouer des contacts et de valider mon exotisme. C'était une belle expérience.
Vous semblez serein ?
C'est le cas, j'ai exercé mon métier avec passion, dans le but de rendre ce club plus fort, plus conquérant. C'est dans la stabilité qu'il doit s'inscrire. Quelque part, cette saison était une année de transition. Un président est parti, un entraîneur a démissionnné. Moi j'arrivais de l'étranger, PapeDiouf exerçait un nouveau métier... A deux butsprès on se qualifiait en Coupe de l'UEFA. sans rien enlever aux performances de Gavanon on peut aussi imaginer que si Fabien Barthez, le meilleur gardien du monde, n'avait pas été suspendu pour les quatre derniers matches, on y serait parvenu. On n'a pas été gâtés.
Vous laisserez l'image d'un entraîneur éloigné du terrain et de son groupe.
C'est un mauvais procès. Tout mon travail est basé sur la confiance, l'exigence, la responsabilisation. Quand vous dites que je n'étais pas présent, vous dénigrez mon staff. J'ai été omniprésent, à ses côtés. Moi je délègue. Ma plus belle victoire, c'est d'avoir été loyal avec le club jusqu'au bout . D'avoir tenu le coup jusqu'au bout.

Jean Fernandez succèdera à Philippe Troussier
Interview de Philippe Troussier France Football Février 2005

Lorsque l'OM vous a contacté pour la première fois, fin novembre, avez-vous pris cette proposition comme une chance considérable ?

- Non.
Ca, ce sont les autres qui me l'on dit. Moi, je ne voulais pas revenir en France. Dans ma tête , c'était hors de question.
Pourquoi ?
-Parce que ma manière de concevoir mon métier ne correspond pas à la mentalité française.
C'est-à-dire ?
-Je vois mal Van Gaal, Cuper ou Lippi en entraîner un- Non, je sais juste que cette image me collera à la peau toute ma vie. Alors, je fais avec. Les deux mois que je viens de vivre me confortent dans cette idée. Dans l'état d'esprit français, la notion d'exigence n'existe pas. D'ailleurs, dès que les joueurs français quittent leur pays, ils sont surpris par cette exigence. En France, il n'y pas forcément la culture de l'effort. En sachant cela, j'avais conscience que ma façon de concevoir le leadership et le management ne serait pas acceptée par mon propre peuple.
Pourquoi les joueurs auraient-ils tant de difficultés à accepter votre méthode ?
- Parce que, dans notre démocratie, le mot "diriger" n'existe pas. Si j'avais un fils, je lui dirais : "Surtout, ne sois pas prof." Aujourd'hui, il faut susciter des attitudes : "Voulez-vous susciter la volonté de courir, monsieur ?" Il faut du respect, des droits, mettre des formes...
Vous définiriez vote rôle comme celui d'un "chef de guerre", alors...
- De guerre, non. Je suis un chef de bande. On doit se retrouver dans la même idée, au même moment. Il y entre une notion de dressage afin d'harmoniser les attitudes de chacun.
Je suis comme un chef d'orchestre qui harmonise Jimi Hendrix avec les autres, alors que lui aimerait partir dans un solo de trente secondes. Moi, je lui dis : "Attends, là, tu nous fous dans la merde." Lui me répond : "Oui, mais je suis le meilleur du monde." Je me dois de lui répliquer : "Oui, oui, t'es le meilleur, mais ça ne suffit pas..." Mon boulot, c'est de penser à la rentabilité du groupe.
En utilisant le terme "dressage", vous savez que vous allez choquer...
- Oui. Mais je m'en fous. Choquer qui ?
C'est un terme qu'on utilise pour les animaux...
- Mais quand je dis dressage, j'évoque la notion de répitition. Si ce terme vous choque, permettez-moi de le retirer et remplacez "dressage" par "orchestration". C'est exactement la même chose. Je ne crois pas à la création. Si la part d'improvisation existe, elle doit être réduite.
Depuis que vous êtes à Marseille, vous avez quand même utilisé une méthode plus douce...
- Oui. Mais je ne me suis pas forcé. Je me suis juste adapté. Je suis parti de mon pays, il y a quinze ans et, en fait, je ne me sens pas français. Alors, je me suis adapté à "l'ethnie" française. Je découvre qu'il faut mettre les formes pour parler à un joueur, que le gars doit se sentir aimé, qu'il est important d'avoir une relation individuelle avec certains. Tout cela est donc forcément basé sur l'affectif, alors que moi, j'ai été habitué à être directif. En Italie, on appelle les joueurs par leur numéro. Si Capello débarque en France et qu'il fait ça, on criera au scandale. Dans le basket américain, c'est pire. Certains entraîneurs sont des fous furieux. Ils frappent les joueurs. C'et impensable en France.
Si on suit votre discours, tout aurait dû vous inciter à ne pas venir à l'OM. Pourquoi avoir accepté ?
- D'abord mes amis, qui m'ont dit : "C'est une grande chance, une grande reconnaissance." Mais je savais déjà que ma technique de management n'était pas adaptée, et je le pense toujours...
Attendez, ce que vous dites est incroyable...
- Et pourquoi ? Je suis ici et j'en suis très heureux. Mon ego et ma fierté sont tellement développés que j'ai envie de réussir. Je sortais du Qatar, j'éatis un tyran, on disait que je débarquais des Seychelles et me voici à l'OM ?
A travers vos propos, vous cultivez vous-même cette image de "tyran"...
- Non. Je sais juste que cette image me collera à la peau toute ma vie. Alors, je fais avec.
Mais cette image ne vous dérange pas tant que cela...
- Disons que je préfère cette image à celle qui serait totalement opposée. Au moins, là, quand j'arrive quelque part, tout le monde est assis et écoute ce que je dis.
Lizarazu,
le courant ne passait pas avec Troussier
Votre relation avec Bixente Lizarazu s'est très mal passée. Est-ce un regret.
- Il avait des priori contre moi. Il voyait en moi le tyran et était donc bloqué. En outre, il n'a pas digéré que je l'écarte lors de mon premier match. Mais moi, je comptais sur lui. Finalement, il a pris la décision de nous quitter et je n'ai pas trop apprécié la teneur de ses propos à ce moment-là. Mais il a eu une carrière exceptionnelle et je lui souhaite vraiment de réussir son dernier challenge au Bayern Munich.
Vous avez abordé le thème de la reconnaisance. En aviez-vous besoin ?
- J'ai longtemps couru après ça. Ce n'est plus le cas.
Votre passage à l'OM peut quand même tout changer dans votre carrière ...
- Bien sûr. Je passe d'une image exotique à une image plus sérieuse, entre guillemets.
A votre arrivée, le vestiaire était-il "sinistré" ?
- Non, mais j'avais le sentiment qu'il ne vivait pas bien.
A-t-il changé ?
- Celui de la Commanderie n'a pas foncièremnt changé. Celui du match, oui. Après la première victoire, à Caen (3-2), on ne sentait pas une joie démesurée. On était dans notre bulle, on voyait tous les autres comme des ennemis. Depuis, une grande harmonie s'est installée. A Toulouse (3-1), samedi, tout le monde s'est éclaté, moi le premier.
Pensez-vous pouvoir être champions de France ?
- On sait que c'est possible. On ne veut pas s'effacer de la course. Mais on ne va pas se mettre la pression en se disant : "Il faut être champions".
Lorsque vous évoquez votre aventure à Marseille, vous parlez essentiellement d'expérience et de passage. Allez-vous partir en juin ?
- Je n'ai jamais dit cela. Je souhaite simplement m'asseoir tranquillement à une table à la fin de la saison, brasser à nouveau les cartes pour savoir si je fais toujours confiance aux gens et si ces gens-là me font également toujours confiance. Je veux simplement savoir si je ferai toujours l'affaire en juin.
Si vous avez le choix, quels arguments vous feront rester ?
- Il est trop tôt pour en parler... Je ne sais pas. Comme je l'ai déjà dit tout à l'heure, j'ai quitté ce pays trop longtemps. J'ai développé une autre façon de concevoir les choses. J'en tiendrai compte. Ma décision ne sera pas non plus forcément liée aux résultats. La Ligue des champions ne me fait pas rêver. Pour moi, la Ligue des champions, ce n'est pas simplement un ticket pour s'y inscrire. Je veux que le club s'installe dans la stabilité. Ce n'est pas le cas actuellement. Je ne vais pas me dire : Youpi ! on a fini troisièmes, j'ai fait mon boulot, je suis devenu un grand entraîneur, et puis perdre tous les matches la saison d'après et m'entendre dire : "Casse-toi ! On va encore changer d'entraîneur." Moi, j'ai une mission, j'ai des valeurs de travail, mon père était boucher, alors l'avenir, on verra ça plus tard.
Mais si on va au bout de votre logique, on peut imaginer que vous ne pensez pas pouvoir vous inscrire sur un projet à long terme à l'OM...
- En tout cas, ce sera l'une des conditions pour que je reste. D'ici au mois de juin, ces conditions seront peut-être remplies.
Ou pas...
- ou pas, oui. C'est bien là le problème. Je n'ai pas envie de terminer comme José (Anigo), qui s'est sacrifié alors qu'il avait assuré l'essentiel.
On insiste, mais tout, dans vos propos, laisse croire que vous partirez en juin...
- Encore une fois, je n'ai jamais dit ça. Mais, de toute façon, j'arrive à un âge, cinquante ans, où j'ai envie de faire autre chose. Je ne me vois pas entraîneur toute ma vie. Ma carrière s'arrêtera dans peu de temps. Plein de choses entrent en ligne de compte, notamment ma santé. J'ai un problème d'arthrose à un genou, j'ai rendez-vous avec le professeur Saillant, la semaine prochaine.
S'il me dit : "Tu te fais opérer demain", j'arrête demain.
Demain, c'est juin ?
- Ca peut l'être.
A l'inverse, vos dirigeants pourraient également vouloir se séparer de vous...
- Exactement. Mais je ne l'oublie pas."
Nakata, la recrue japonaise de Troussier