OM Olympique de Marseille

Interview de Rolland Courbis en Janvier 1999

Rolland Courbis, vous avez la réputation d'être critique, mais le seriez-vous autant si vous entraîniez un autre club que l'OM ?
Quand je critique, j'essaie aussi d'apporter une solution, et mon objectif c'est d'être positif. Le foot, c'est ma vie depuis que je suis tout gosse, ça l'est encore, et je me dis que le jour où je disparaîtrai, mon passage aura servi à quelque chose. Je ne suis pas animé par un esprit de contradiction. Je ne critique pas pour le plaisir, je note seulement qu'il y a des anomalies et je les soulèves. J'ai connu différentes situations en tant qu'entraîneur. J'ai dirigé Toulon, Endoume, Bordeaux, Toulouse, j'ai joué le maintien, la montée, la descente, l'Europe...
Je serais le même si j'entraînais n'importe quel autre club. Maintenant, si j'exerçais ailleurs, peut-être que je serais perçu d'une autre manière.
Pour quelle raison ?
Parce que Marseille, c'est, et de loin, le club le plus populaire du pays. Le nombre de gens qui m'accostent dans les aéroports, qui m'interpellent dans la rue, où que je sois, depuis un an et demi, pour me poser des questionsest dix fois plus élevé par rapport à l'époque où j'entraînais Bordeaux, qui est pourtant un grand club, avec une histoire, des structures.
Parfois, j'ai même l'impression d'avoir changé de métier, alors que je pense être toujours le même.
Etes-vous tenté par une expérience à l'étranger
Si je n'avais pas eu la chance d'avoir entraîné deux des clubs les plus prestidigieux du pays, j'aurais une ambition supplémentaire. L'objectif dans la vie, c'est quand même d'être heureux. Et moi, à l'OM, je suis un homme heureux ! Mais les semaines, les mois, les années défilent et je ne sais plus ce que c'est que prendre un poisson à la palangrotte ou partir huit jours au ski. J'aimerais en profiter un peu avant de mourir d'un infarctus
sur ma chaise au Vélodrome. Ca a continuer un anou deux, ou trois, je l'ignore mais la cinquantaine arrive à grands pas.
Dans quel domaine pensez-vous pouvoir encore progresser ?
On progresse à tout âge. Mais que ce soit dans le domaine physique, athlétique, de la préparation, il ne reste plus que des petits réglages à effectuer. On peut toutefois apprendre dans tous les secteurs en s'intéressant à ce qui se fait dans d'autres sports : en tennis, au hand, au basket, au water-polo, notamment dans la gestion du groupe. En match, pour surprendre l'adversaire, il faut toujours essayer de varier. Nous disposons de trois schémas différents, plus la possibilité de faire trois changements.
Y-a-t-il des entraîneurs qui vous ont spécialement marqué ?
J'ai eu la chance de rencontrer, il y a une quinzaine d'années, Tomislav Ivic. Il y a les pour et les contre, mais, pour moi, Ivic, c'est un formateur -ce que je ne suis pas-, un éducateur, un gars qui a réussi à entraîner dans différents pays. C'est clair, il m'a fait gagner beaucoup de temps. Pouvoir discuter avec lui, comme avec Capello ou Lippi, ou, auparavant, avec Kovacs que je voyais souvent à Monaco, ce fut un vrai bonheur.
Et parmi tous les entraîneurs que vous avez eus en tant que joueur ?
Mario Zatelli. Il avit vingt ans d'avance. C'est le premier que j'ai vu discuter par groupes de deux ou trois, par secteurs de jeu, une méthode que j'ai reprise à mon compte. Zatelli avait un sens de la psychologie très développé. Il fallait le voir gérer le cas de Magnusson qui détestait les séances physiques. Avec d'autres, que je ne nommerai pas, on serait allés tout droit au clash.
Vous ne regrettez pas d'avoir eu une carrière de joueur somme toute modeste, alors qu'elle s'annonçait prometteuse ?
Quand j'étais petit, je ne me voyais pas jouer sous un autre maillot que le maillot blanc. Forcément, j'ai dû oublier le côté affectif, sinon j'aurais mis un terme à l'âge de vingt ans. C'est vrai, j'ai privilégié l'aspect financier. Si c'est laid, tant pis. Non, je ne le regrette pas et je n'en ai pas honte.
Quel avenir pour l'OM?

Il y a eu une époque où il suffisait de recruter les meilleurs Français et trois bons étrangers pour avoir la meilleure équipe de France.
Ce n'était plus vrai quand Robert Louis-Dreyfus est arrivé.

Même si, comme moi, il est de passage dans le foot, il aura au moins réussi celà : créer dans ce club les infrastructures qui lui manquaient.
J'espère que cela donnera envie à de gros investisseurs de venir dans le football et de poursuivre le travail entrepris. Sinon, l'OM redeviendra une équipe moyenne et pointera entre la septième et la douzième place du Championnat et n'aura aucune chance de rivaliser avec le Real ou l'Inter.
Selon vous, Robert Louis-Dreyfus compte-il déjà parmi les grands présidents de l'OM ?
Ces vingt dernières années il y a eu trois grands présidents : Leclerc, Tapie et Louis-Dreyfus.
Les deux premiers ont connu les sommets, puis la catastrophe. Le troisième tente d'enrayer cette fatalité.
Est-ce cela qui a motivé votre décision de rester à l'OM cette saison ?
J'étais venu pour un bail d'un ou deux ans. Aujourd'hui, mon objectif est de devenir l'entraîneur qui battra le record de durée sur le banc, ou plutôt sur la chaise que j'occupe au Stade-Vélodrome, et de maintenir le club durablement au plus haut niveau.
Avec le président, nous étions vraiment partis sur une opération à court terme.
Mettre en place un groupe sympa en deux intersaisons, qui soit motivé et qui ne roule pas les mécaniques.Cet objectif a été atteint. Désormais, il s'agit de mettre en place des infrastructures. Car il faut bien se rendre compte que la victoire en C 1 de l'OM en 1993 est une anomalie. C'est le seul club à avoir gagné la Coupe d'Europe en s'entraînant dans des Algeco.
Maintenant il y a des terrains d'entraînement qui seront cette année enfin dignes de ce nom, des vestiaires, un staff technique, un président très présent, un stade, un public. La Coupe d'Europe ne peut se remporter qu'avec un minimum de logique.
A propos d'infrastructures, ne regrettez-vous pas que le Stade-Vélodrome ne soit pas couvert ?
Le Vélodrome, je l'appelle "l'enrhumeur". Mais ce n'est pas parce qu'il n'a pas de toit. C'est parce qu'il est ouvert sur tout. Je me moque que, des tribunes, on puisse voir l'Estaque ou que, vu d'hélico, ce stade ressemble à une fleur. Ce stade est mal conçu parce qu'on n'a jamais l'impression d'être à l'intérieur !
Compte-vous également développer la formation qui n'est pas jusqu'à présent une force de l'OM ?
A l'heure actuelle, nous sommes loin de Monaco, par exemple, qui compte plusieurs internationnnnaux A ou Espoirs issus de son centre (Christanval, Henry, Trezeguet, Irlès).
Je ne me fais pas d'illusion. L'OM-on n'échappe pas à son histoire-ne sera jamais un club qui s'appuiera entièrement sur la formation. Mais j'aimerais qu'à terme 20 % de l'équipe vienne du centre.
En outre, le président ne rajoutera plus chaque année 50 MF au budget pour qu'un Pires reste en France.
Il faudra que, lors des futures intersaisons, nous conservions un groupe performant tout en gardant une balance ventes/achats assez équilibrée.
Vous semblez donc vous inscrire sur une assez longue durée à Marseille, le club de vos débuts, votre ville. Est-ce pour boucler la boucle ?
Il y a 99 % de chances que je termine ma carrière d'entraîneur lorsque je ne serai plus performant avec l'OM.
Est-ce que ce moment viendra dans un, deux, ou trois ans, je n'en sais rien. Mais alors là, oui, la boucle sera bouclée. J'aimerais seulement que mon passage à l'OM donne la possibilité à ce club de ne plus vivre un parcours qui ressemble à la courbe de température d'un malade.
Que ferez-vous ensuite ?
Je conseillerai sans doute encore un club ou un entraîneur. Peut-être des joueurs.? Mais seulement quatre ou cinq, pas plus. Sinon, on ne peut pas le faire sérieusement et ça devient ce que font les agents aujourd'hui qui s'occupent de trente joueurs à la fois pour faire le plus d'argent possible.
Vous conseillez déjà des joueurs. Comme Peter Luccin, par exemple...
Je me préoccupe en effet beaucoup de ce joueur. D'abord, parce que sa famille m'en a confié la responsablité et, surtout parce qu'il est pétri de talent. S'il avait eu un agent, il serait au Real aujourd'hui.
Pouvez-vous éclairer le chassé-croisé de Noël entre Dugarry et la Juve ?
Si le Juve s'y était mieux pris, Dugarry serait aujourd'hui à Turin. C'était le seul club qui aurait pu lui faire quitter Marseille où il est heureux. Nous l'avions mis à l'aise en lui disant de réfléchir. Nous avions même entamé des recherches pour le remplacer (soit par Rodriguez, soit par un étranger dotn je tairai le nom car il nous intéresse toujours). Mais les dirigeants italiens l'on fait mariner dix jours. Christophe a vu défiler les noms de tas d'autres joueurs qui étaient censés intéresser la Juve avant qu'elle reprenne contact. Finalement, Christophe, un peu vexé, a choisi Marseille, même s'il y avait son copain Zizou à Turin.
Avez-vous le sentiment que votre groupe est né en août, lors de la deuxième mi-temps du match OM-Montpellier, lorsque votre équipe menée 4-0 s'est finalement imposée 5-4 ?
C'était effectivement le scénario rêvé pour mettre en place un groupe, et il est certain qu'il s'est consolidé en passant en quarante-cinq minutes du ridicule à la victoire. Moi-même, je n'avais jamais connu cela dans de telle proportions. A la mi-temps, j'avais fixé un objectif : ganger ce demi-match de quarante-cinq minutes. Pour moi, c'était cela l'important, et je crois que si nous avions remonté seulement deux buts, la suite de la saison aurait été la même. On a fait mieux, et c'est ce qui me fait dire que ce genre de match fleure bon le titre de champion.
Vous évoquiez tout à l'heure le public marseillais. Il vous adore aujourd'hui !
Cela n'est pas toujours vrai. Avec beaucoup d'affection j'appelle le public du Vélodrome les malchanceux. Lorsque nous perdons, ils sont 60 000 qui auraient proposé la bonne solution ! Enfin, heureusement que je n'écoute pas tout ce qu'on veut me soumettre. Sinon, Camara serait parti en Afrique, Ravanelli s'appellerait "Ravioli" pour toujours, Dugarry porterait le nom de "Dugâchis" et Pires jouerait à l'étranger, car "il n'a pas le caractère pour jouer au Vélodrome...
Vous connaissez bien Zidane pour l'avoir entraîné. Dans quel domaine a-t-il le plus progressé ?
Dans tous les domaines ! Surtout, il est allé dans les clubs qu'il fallait au moment où le fallait. Marseille l'a peut-être raté, mais le centre de formation de l'OM ne lui aurait peut-être pas permis de progresser comme il l'a fait à Cannes. Après Bordeaux, la Juve, avec ses structures, ses programmes d'entraînement, et Lippi l'ont encore fait progresser; Son plan de carrière a été mené au mieux. Avec un peu de chance peut-être aussi, mais il avait tout pour devenir ce qu'il est devenu.